Les produits halal se retrouvent partout, de la viande aux plats préparés. Les enseignes restent prudentes pour ne pas effrayer les non-musulmans.

Calé derrière son bureau, il raccroche prestement son iPhone. « Veuillez m’excuser, c’était l’acheteur de chez Carrefour. » Farid, 40 ans, est un chef d’entreprise convoité. Il se rappelle pourtant d’un temps où il devait lui-même démarcher les grandes surfaces. Un temps où le halal n’était pas encore devenu une mode.

En 2006, lorsqu’il fonde sa société « Lais Belgium », l’importateur commence à distribuer ses produits dans les petites épiceries. Aujourd’hui, ses bonbons, saucisses cocktail, bouillons, sauces couscous et autres plats préparés se retrouvent sur les étagères des supermarchés. Cora, Carrefour, Colruyt, Match… lui réservent aujourd’hui 2 à 10 mètres de rayons.

Farid a su profiter du boom du halal : « En Belgique, c’est une tendance récente. Ça fait à peine deux ans que ce marché a explosé. Comme si, subitement, les sociétés venaient de se rendre compte que les musulmans ne consommaient ni porc, ni alcool… » Jusqu’alors confiné aux magasins de quartier, le halal a désormais fait son entrée dans la cour de la grande consommation. Souvent comparé au bio, ce marché de niche ne laisse plus les annonceurs insensibles. Son public-cible présente un potentiel attrayant : la Belgique compterait entre 400.000 et 600.000 musulmans. « Des personnes issues de la 3e génération, instruites, qui ne font plus leurs courses dans la supérette du coin, qui possèdent un pouvoir d’achat élevé et qui consomment différemment », expose Bruno Bernard, sociologue.

Les citoyens belges de confession musulmane consacreraient ainsi une plus grosse partie de leur budget à l’alimentaire. Entre 30 et 40 %, contre 15-20 % pour le consommateur lambda. Avec l’envie de goûter à certains produits qui leur ont longtemps été inaccessibles. « Je suis né en Belgique, raconte Farid. Comme tout le monde, j’ai envie de manger un hot-dog moutarde/ketchup ! »

Hamburger, foie gras, kriek, mousseux… Chacun de ces produits se décline aujourd’hui en version halal. Mais pour les dénicher dans les rayons des supermarchés, il faut parfois attentivement les chercher. Si la distribution commence à intégrer ce marché, elle privilégie la discrétion. Pas de campagne publicitaire, de rayons spécifiques, d’affichage particulier ou d’offre généralisée. « Les enseignes se montrent très prudentes, elles font profil bas, affirme Samir Hachemi, fondateur de l’agence Zoom ID, spécialisée dans le marketing ethnique. De peur d’entrer en conflit avec le mass-market. » Comprenez : de peur d’effrayer les non-musulmans. Car la simple évocation du mot peut rapidement échauffer les esprits. « Ça choque tout le monde, résume Bruno Bernard. Mentalement, les gens ne sont pas prêts. »

La connotation religieuse n’est jamais bien loin. « Que le halal côtoie d’autres produits, c’est parfois difficile à accepter pour certains non-musulmans, comme pour certains musulmans, d’ailleurs », reconnaît Salah Eldin, administrateur de l’ASBL European islamic halal certification.

Actuellement, le halal se cantonne surtout dans des villes comme Bruxelles et Anvers, là où la population musulmane est la plus importante. « Le marché est également boosté par un fort repli communautaire, ajoute Samir Hachemi. C’est la “mode muslims”. Surtout depuis le 11 septembre. Ce repli identitaire est très “ in” chez les jeunes, qui ne se sentent pas vraiment belges mais pas vraiment étrangers non plus. » « Ce n’est pas un réflexe identitaire, nuance Farid. C’est plutôt une manière de se reconstruire, de suivre une ligne directrice. » L’importateur préfère d’ailleurs éviter tout prosélytisme.

Ses produits, dit-il, suivent simplement un cahier des charges particulier. « Bien sûr, l’aspect religieux reste important pour une partie des consommateurs. Mais le halal s’adresse à tout le monde. Il faudrait trouver un équilibre entre le respect des communautés et le bien-vivre ensemble. »

 

Le Soir du 16 Août 2011

GEELKENS,MELANIE